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mercredi 23 septembre 2009

Les secrets du lexicographe

Rémy Rosfelder m’a interviewé pour la revue de l’AITC. Il m’a notamment posé les deux questions indiquées ci-après. J’y réponds ici de façon plus détaillée.

D’où vous est venue l’idée du Guide et comment avez-vous procédé pour sa rédaction ?

L’ONU avait publié un Lexique général, que je trouvais très utile. Cependant, il était orienté essentiellement vers les textes de l’ONU et consistait en partie en une compilation de divers glossaires assez spécialisés de cette organisation.

En outre, les articles qui proposaient des traductions de mots difficiles n’existaient qu’à l’état d’ébauches. J’ai estimé qu’un ouvrage plus complet sur le plan de la langue et plus général en matière terminologique pourrait intéresser un grand nombre de traducteurs.

Le guide repose sur l’idée suivante : un dictionnaire destiné spécifiquement aux traducteurs peut faire l’impasse sur ce que j’appelle les scories (mots du langage parlé, faciles, familiers, littéraires, rares, etc.), et donc présenter des développements riches et détaillés sur les termes qui posent des problèmes aux traducteurs. Ainsi, en un moindre volume, plus d’informations véritablement utiles peuvent être offertes. Je laisse aux « dictionnaires à tout faire » le soin d’utiliser tout l’espace nécessaire pour traduire les « scories ».

Cependant, loin de me borner à établir un ouvrage destiné à une diffusion confidentielle, je l’ai conçu d’emblée dans une optique de marketing, en songeant au plus grand nombre possible de traducteurs. Il fallait donc leur offrir des articles qui :

- soient axés sur la traduction utilitaire ;
- indiquent des sens non répertoriés par les dictionnaires usuels ;
- reprennent des mots et des expressions négligés par les dictionnaires généraux, souvent parce qu’ils sont nouveaux ou ne sont utilisés que dans des textes « technocratiques » ;
- prennent en compte les principaux termes utilisés dans les grands domaines sur lesquels portent les traductions confiées à des professionnels ;
- proposent un grand choix de traductions ;
- illustrent les sens et les traductions par des cooccurrents et des exemples traduits.

Le bon ouvrier a de bons outils : je me suis donc doté d’une riche bibliothèque d’ouvrages de référence.

Qui dit dictionnaire novateur dit méthode originale. J’ai employé ce que Pierre-Henri Cousin, l’un des auteurs du Robert & Collins, a appelé la technique du corpus personnel. Au lieu d’utiliser un corpus classique pour rédiger les articles l’un après l’autre, j’ai lu des dizaines de milliers de pages d’articles, de rapports et d’essais rédigés en anglais, en notant chaque fois les traductions qui me paraissaient les plus appropriées, compte tenu du contexte.

Je suppose que les lexicographes qui ont recours à des corpus rédigent les articles en se fondant sur un grand nombre de citations relatives à chaque mot. Lorsqu’on procède de cette façon, il ne faut pas « rater son coup », en omettant des sens ou en perdant de vue les traductions les plus naturelles. Aucun retour en arrière n’est possible, si ce n’est que le texte peut être révisé par un lexicographe plus compétent. Néanmoins, les traducteurs savent bien qu’une traduction révisée par un traducteur particulièrement expérimenté ne peut être aussi bonne que si ce dernier fait la traduction lui-même. Une révision n’est jamais qu’un rattrapage.

Selon ma méthode, un article déterminé n’était jamais rédigé une fois pour toutes, mais se constituait par ajouts successifs. Chaque article a donc été révisé et enrichi à de nombreuses reprises.

Le guide a bien entendu aussi été alimenté par les traductions réalisées au quotidien.

Enfin, un contrôle de la qualité m’a paru indispensable. Grâce à des relations nouées au fil des années et à un appel lancé sur le Web, je suis parvenu à réunir une formidable équipe de professionnels de langues française et anglaise, qui ont révisé le manuscrit avec beaucoup d’intelligence. J’indique leurs noms et qualités dans l’ouvrage et j’en profite pour réitérer ici mes remerciements.

Si c’était à refaire, j’agirais de même pour l’essentiel, mais l’expérience que j’ai maintenant acquise me permettrait de gagner un temps considérable car, initialement, des tâtonnements ont été nécessaires.

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