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mardi 29 septembre 2009

Désert, J. M. G. Le Clézio, Gallimard (suite et fin)

[Contexte : le traducteur et le lexicographe doivent lire]

Dans un billet antérieur, j’ai écrit :

« Le Clézio n’hésite pas à aligner les phrases courtes, ce qui donne parfois à son texte l’allure d’un procès-verbal. Le narrateur se borne à observer, avec détachement, sans émotion. »

En fait, l’émotion est indépendante du style. Elle surgit quand l’auteur réussit à faire partager le vécu d’un personnage auquel il est parvenu à donner vie – c’est à ces deux aptitudes que l’on reconnaît l’écrivain. Arrivé à la page 291, je me demande si l’auteur a créé en moi une telle émotion. Oui. Près de cent pages plus tôt, quand on veut marier Lalla avec un homme d’âge mûr, il écrit :

« Lalla n’a pas peur de lui, mais elle sait que si elle ne s’en va pas, un jour il la conduira de force dans sa maison pour l’épouser, parce qu’il est riche et puissant, et qu’il n’aime pas qu’on lui résiste. »

Cette phrase relativement complexe (sept propositions !), inhabituelle chez Le Clézio, présente une argumentation, qui n’est donc pas incompatible avec l’émotion. Celle-ci découle des histoires vécues relatées dans la presse et par mes médias.

En revanche, les descriptions misérabilistes auxquelles l’auteur se laisse aller ne suscitent aucune émotion.

Par ailleurs, des scènes étrangement répétitives se succèdent :

- page 292 : « Le cœur battant, Lalla court le long de l’avenue »
- page 293 : « Lalla s’arrête, elle aussi, et elle regarde, cachée derrière une voiture. Son cœur bat vite »
- page 296 : « tout à coup Lalla n’en peut plus d’attendre. [...] Alors elle s’échappe. Elle court de toutes ses forces le long de la ruelle ».

Et puis, Lalla est gentille :

« il est toujours poli et doux, et Lalla l’aime bien à cause de cela. [...] Lalla ne connaît pas son nom mais elle l’aime bien. »

Donne-lui quand même le prix Nobel, dit mon père.

Quel profit le traducteur ou le lexicographe retire-t-il de la lecture d’un roman tel que Désert ? Essentiellement, une œuvre littéraire rappelle, ressuscite des mots et expressions que l’on avait presque oubliés, souvent des termes simples que négligent la presse, les rapports, les essais. Elle est comme une couche fraîche de peinture passée sur la langue. Elle ranime la flamme. Piètre traducteur que celui qui ne connaît que les mots technocratiques.

Qu’on apprécie l’œuvre ou non, Le Clézio emploie le mot juste, nous le remémore, nous le fait mémoriser.

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