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vendredi 30 octobre 2015

Permettre, un verbe envahissant

Billet rédigé par Dominique Jonkers, traducteur financier, www.jonkersandpartners.com. D'autres billets disponibles ici.

J’ai un liseron dans mon jardin. Plus j’en arrache, plus il en revient. Mais je m’accroche.

C’est comme avec le verbe « permettre ». Un envahisseur qui, au sens de « rendre possible », pullule dans les textes administratifs ou commerciaux, au point d’affaiblir les textes qu’il parasite.

Sa légitimité n’est évidemment pas en cause. Il est attesté depuis plus de mille ans.

Sa fréquence, oui.

En fait, j’ai trois raisons de combattre « permettre » au sens de « rendre possible ». Sa fréquence. Sa lourdeur (lorsqu’il multiplie inutilement les verbes dans la phrase). Son corollaire quasi-automatique : les circonlocutions. 

Je range aujourd’hui « permettre » dans la liste des verbes à faible contenu sémantique « mettre », « faire », etc. Bref, je l’évite dès que je peux.

J’ai consulté quelques dictionnaires. La 4e (1762) et la 8e (1935) édition du dictionnaire de l’Académie française et mon vieux Littré (1957) définissent « permettre » comme suit : (1) « donner liberté, pouvoir de faire, de dire », (2) « autoriser, tolérer » mais aussi, s’agissant de choses : (3) « donner le moyen, la commodité, le loisir ». Exemples : « J'irai vous voir dès que mes affaires me le permettront. Ma santé ne m'a pas permis de sortir. L'état de la mer ne leur a pas permis de s'embarquer. »

MAIS ! Mon Robert (1969), lui, part dans une toute autre direction. Il abandonne ces acceptions au profit de : (1) « laisser faire quelque chose, accepter qu’une chose soit, se produise… ne pas l’empêcher », puis de (2) « (avec un nom de choses pour sujet) rendre possible, faire que quelque chose soit possible ». 

Un saut quantique.

Faut-il y voir une réaction à mai 1968 et à la célèbre interdiction d’interdire ?

Une chose est sûre, on emploie davantage « permettre » et surtout « permettre de + infinitif » aujourd’hui que par le passé.

Je me suis amusé il y a trois ans à un petit exercice simpliste. Dans le concordancier en ligne de l’UQAM, j’ai comparé la fréquence d’apparition de la racine « permet* » à sa fréquence d’apparition dans tout Maupassant (1,5 million de mots) et dans les Trois Mousquetaires (corpus actuellement indisponible).

Puis j’ai téléchargé le rapport annuel du groupe Axa, que j’ai soumis au même exercice.

Conclusion (parfaitement empirique) : la fréquence d’apparition de la racine « permet* » varie dans un rapport de 1 (Maupassant et Dumas) à 20 (Axa).
Je viens de refaire l’exercice sur un nouveau corpus, récemment ajouté, de textes modernes. L’indice y est de 7 (à comparer à 1 et à 20).

Qu’en retenir ?

1. Les textes anglais que nous traduisons sont truffés de « allow », de « enable » et d’autres formulations qui se traduisent très bien – trop bien – par « permettre » ou « permettre de + infinitif ».

2. J’ai l’intuition que par rapport au reste de la production textuelle francophone, la fréquence de « permettre (de + inf.) » est plus élevée dans certains secteurs que dans d’autres : l’administratif, le financier, l’informatique... et en particulier les textes traduits.

BREF : sus à la permissivité.

J’ai inventé un nouveau jeu : « ni oui, ni non, … ni permettre », et je vous le propose.

Voici trois phrases construites autour de « permettre », à vous de les reformuler plus élégamment.

1. L'itinéraire fléché en bleu vous permet de visiter les vieux quartiers.

2. Les résultats des élections législatives permettent de répartir pour cinq ans l'aide publique aux partis politiques.

3. La nouvelle réglementation permettra de mieux savoir si un produit de consommation contient ou non des OGM.

4 commentaires:

  1. Merci pour cet article ! c'est drôle, car je suis justement. Je me suis fait une petite liste de vocabulaire sur une feuille, que j'enrichis au fil des lectures.

    Voici mes propositions :


    1. L'itinéraire fléché en bleu traverse les vieux quartiers, visite dépaysante garantie :)


    2. L'aide publique à destination des partis politiques est notamment répartie entre eux sur 5 ans, au vu des résultats des élections législatives.

    3. Grâce à la nouvelle réglementation, il sera possible de savoir si un produit de consommation contient ou non des OGM.

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    1. Merci pour vos propositions judicieuses. Celles de l'auteur de l'article se trouvent ici : https://www.facebook.com/jonkersandpartners/?fref=nf

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  2. Passionnant, j'utilise beaucoup permettre et je commençais à me dire qu'il y avait un os. Mes propositions:
    1. Visitez les vieux quartiers en suivant l'itinéraire bleu fléché.
    2. L'aide publique aux partis politiques est répartie pour cinq ans en fonction des résultats des élections législatives.
    3. La nouvelle réglementation imposera d'indiquer plus clairement si un produit de consommation contient ou non des OGM.

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  3. Vos idées me paraissent excellentes !

    Je proposerai dans quelque temps des phrases pour lesquelles il semble impossible d'échapper à "permettre". Je mettrai ainsi votre sagacité à l'épreuve.

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