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lundi 28 juillet 2014

On ignore encore...

Billet rédigé par Dominique Jonkers, traducteur financier, www.jonkersandpartners.com. D'autres billets disponibles ici.

Dans lesoir.be, une dépêche Belga sur un jugement, qui annule l’interdiction de port d’armes à feu à Washington D.C. (États-Unis).

« On ignore encore(1) toutefois si le jugement aura force de loi(2) directement ou si son application est conditionnée à(3) un éventuel(4) appel de la décision(5)(6). »

1. Lorsqu’il modifie le verbe « ignorer » (et probablement d’autres), l’adverbe « encore » est très souvent une lapalissade. Par définition, l’information que j’ignore aujourd’hui, je l’ai toujours ignorée ; donc je l’ignore « encore ». Inutile d’en rajouter. 

À moins que je ne souhaite insister sur la durée anormale de cette ignorance. « Dans ce dossier criminel vieux de 20 ans, on *ignore encore* l’identité des coupables ».

2. L’expression « avoir force de loi » me paraît malvenue. 

Le corpus des jugements forme la jurisprudence, et la jurisprudence est une *source* de droit parmi d’autres (les usages, la doctrine, …). 

Un jugement devenu définitif par expiration du délai d’appel a « force de chose jugée » (à ne pas confondre avec l’autorité de la chose jugée), ce qui est tout différent.

3. « est conditionné à » - Cette formulation me surprend, je la crois erronée. « Est conditionné » est la forme passive du verbe « conditionner » et devrait donc se construire avec la préposition « par ». Il me semble que l’auteur a été influencé par les formules « est assujetti à » ou « est soumis à ».

4. « éventuel appel » : lapalissade. Tant que la période d’appel n’a pas expiré, le justiciable peut interjeter appel ; pendant cette période, l’appel est donc toujours éventuel.

5. Le complément « de la décision » est redondant, puisque le sujet de la proposition est clairement exprimé (« le jugement »).

6. Cette phrase est un bel exemple du « syndrome du garde champêtre » cher à Robert Beauvais. Il ne manquait que quelques « néanmoins » ou « subséquemment ».
À quoi bon s’essayer - maladroitement - à rédiger un cours de droit alors qu’il suffirait d’une formule claire et concise (cf. infra). ?

7. Enfin, je ne peux m’empêcher de sourire lorsqu’un journaliste nous informe non pas de faits,… mais de son ignorance.

Comment reformuler cette phrase ?

Voici une formulation destinée à un public de juristes ou au moins à un public averti :
« On ignore toutefois si le jugement a déjà force de chose jugée. »

Pour un public profane, il suffisait d’écrire : 

« On ignore toutefois si le jugement est encore susceptible d’appel. », ou bien, plus court :
« On ignore toutefois si le jugement est définitif. »

Huit mots au lieu de 25.



1 commentaire:

  1. Le syndrome du garde champêtre se manifeste aussi souvent dans les textes anglais que je traduis (pourtant écrits par des juristes!). La traduction devient alors l'occasion de raccourcir et de simplifier, et vos analyses m'aident à rester vigilant. Merci.
    (1) J'aurais cru que l'auteur voulait dire «On ignore pour l'instant», insistant sur le fait que l'information manquante ne le restera pas longtemps (ce dont les juristes sont conscients, mais pas le grand public).
    Et pour en revenir à «encore»: faut-il parler de lapalissade ou de pléonasme?

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